Le metagame pour les nuls
Quand je commençais à écrire ce post, j’imaginais en faire un glossaire, mais je me suis rendu compte que j’avais bien plus à dire sur ce terme que sur n’importe quel autre. Du coup, le glossaire, on verra ça après. Si vous avez déjà lu ne serait-ce qu’un seul de mes articles, vous avez sans doute remarqué que j’adore les anglicismes, et ce pour une raison très simple : j’ai principalement appris l’anglais avec le jeu. Alors forcement, la plupart des trucs que je lis sur le sujet sont en anglais, et souvent avec des concepts pas supers simples à traduire. Résultat, quand je parle de jeux, je ne peux pas m’empêcher d’en glisser quelques mots. Cela dit, c’est tellement entré dans les mœurs dans le milieu que même des sites mainstream (hop, je recommence) en mettent à tire larigot : level design, gameplay, power up … Puis bon, faut bien que je justifie mon année de fac d’anglais. Bref, assez de bavardages, aujourd’hui je vais parler d’un truc qui me semble primordial si on s’intéresse un tant soit peu au monde du jeu : le metagame. Beaucoup de gens utilisent ce mot sans vraiment en saisir le sens, ou même en ignorent tout simplement l’existence. Pourtant, ce concept est d’une importance cruciale si on cherche à décoder le jeu, tant il est au cœur du fonctionnement d’une multitude de ces derniers. Ouaip, je m’emballe, parce que encore une fois c’est quelque chose qui pour moi est – comme je l’ai dit il y a trois lignes – l’essence même de pas mal de jeux. Un sujet qui mérite donc amplement son propre billet.
« Metagame », du préfixe grec meta « au-delà », « qui vient après » et de l’anglais game, pour jeu. En faisant extrêmement simple, il s’agit de l’ensemble des données définissant le jeu à un moment m, l’ensemble des interactions et stratégies possibles non prescrites par les règles, qui vont au-delà. Comprendre le metagame, c’est comprendre toutes les subtilités d’un jeu (je vous le vend bien là, non ?). Dans ma façon d’aborder le jeu, l’étude du metagame occupe une place de premier plan, mais ça c’est parce que j’adore les nombres. Vous avez du mal à saisir ? On va commencer par un exemple super simple et particulièrement illustratif : le jeu du Pierre-feuille-ciseaux. La pierre bat les ciseaux, qui battent la feuille, qui bat la pierre. On peut difficilement faire moins compliqué, ce système en triangle est d’ailleurs très régulièrement repris (souvent agrémenté d’autres éléments) dans pas mal de jeux. Ça, ce sont les règles de base. Maintenant, imaginons que vous souhaitiez participer à un tournoi de Pierre-feuille-ciseaux le mois prochain. Vous avez envie de gagner, parce que le premier prix est votre poids en CBO, et que vous adorez ça. Vous essayez donc de vous renseigner, et vous tombez sur un livre de stratégie sur le sujet dont les auteurs sont arrivés aux conclusions suivantes :
– les hommes ont tendance à ouvrir la partie par pierre.
– les débutants font très rarement trois fois le même signe d’affilé.
– les ciseaux sont le symbole le moins utilisé en tournoi avec seulement 29,6 %, donc si on a aucune idée de quoi faire, feuille est le plus sûr.
Ces informations ne sont pas écrites dans le livret de règles du Pierre-feuille-ciseaux (bon ok, le post-it de règles). Néanmoins, les connaître vous donne un edge (un avantage) par rapport aux personnes qui les ignorent. Oui, ce sont des stats, mais le metagame c’est souvent ça. À partir de l’instant où vous avez un jeu qui propose un ensemble de variables déterminantes pour – ou sur – les joueurs vous pouvez définir un metagame.
Le triangle des armes de Fire Emblem dans sa version la plus simple, de très nombreux jeux utilisent un, ou plusieurs système de ce genre.
D’une manière ou d’une autre, c’est applicable à la quasi totalité des jeux, qu’ils soient vidéo ou traditionnels, du moment qu’ils ne sont pas basés uniquement sur de l’aléatoire et sans aucun choix pour les participants. Le niveau de lecture du metagame change suivant le jeu, mais on peut néanmoins résumer ça grossièrement en trois questions : « quoi ? », « pourquoi ? » et « comment ? ». Si on répond à ces trois questions (dans l’ordre que vous voulez), on sait lire un metagame. Parlons d’un jeu que tout le monde va connaître, et que je ne vous ferai pas l’affront de présenter : le Monopoly. Dans ce jeu, le « quoi ? » et le « pourquoi ? » sont simples à trouver : il suffit de calculer le rapport prix/gain de chaque couleur de rue. De là on développe deux stratégies possibles, soit on achète tout ce que l’on peut jusqu’à épuisement de notre capital, soit on essaye de n’acheter que les plus rentables, au risque de ne disposer que de peu de terrains. Le « comment ? » en revanche commence à être plus intéressant. Votre petite sœur est encore jeune, elle ne comprend pas tout le principe du jeu, et elle est facilement influençable (c’est bon, on l’a tous fait…). Savoir qui joue avec vous, ça vous permet de deviner, d’anticiper, sur le déroulement de la partie et donc d’adapter votre façon de jouer en fonction. Je vous l’accorde, sur un jeu comme le Monopoly, c’est pas foufou.
Maintenant, imaginez une variante du Monopoly ou chaque petit pion dispose d’une capacité à lui : la voiture a le choix d’avancer d’une case de plus ou de moins qu’indiqué par les dés, le chapeau tire deux cartes chance et caisse de communauté au lieu d’une, le porte-monnaie payera toujours 10 % de moins, etc. D’une part, le jeu est rendu plus intéressant, mais surtout vous avez désormais un « quoi ? » et un « pourquoi ? » (et donc aussi un « comment ? ») bien plus complexe. En faisant cela, on injecte de la stratégie, du choix, dans un jeu qui n’en propose que peu. On crée des variables déterminantes, et donc on crée un potentiel metagame. D’instinct, je prendrais le porte-monnaie, parce que c’est non conditionnel et que ça a un impact direct sur le jeu. Ou peut-être la voiture, pour éviter les hôtels des autres en fin de partie, en tout cas, certainement pas le chapeau qui offre bien trop de variance, et qui est presque inutile en fin de partie… Bref, vous voyez où je veux en venir : le choix.
Vous comprenez toujours pas ? C’est pas grave, on va prendre un autre exemple, League Of Legends. Jeu de stratégie en ligne hautement compétitif opposant généralement deux équipes de 5 joueurs s’affrontant sur une carte symétrique. Si pour une raison quelconque vous ne connaissez rien au genre, imaginez un jeu de stratégie dans lequel vous dirigez une seule et unique unité, disposant de plusieurs capacités, plutôt qu’une armée entière. De la micro gestion pure et simple. LoL c’est une grosse centaine de champions, des arbres de talents et des runes pour personnaliser vos champions, ainsi qu’une quantité phénoménale d’objets à acheter pendant les parties. Bref, un très grand nombre de variables. Cependant, quand on commence à faire le tri, on se rend compte qu’un bon paquet de combinaisons sont incohérentes. Comme dans tout jeu compétitif du genre, on peut diviser grosso modo les possibilités en trois catégories : les trucs généralement toujours efficaces, les trucs qui marchent dans une situation donnée, les trucs qui marchent pas.
Le schéma d’une partie classique de LoL est le suivant, sur la carte, il y a trois voies possibles, et une jungle au milieu. Un seul personnage au milieu, dans la jungle et en haut, deux personnages en bas. Parfois on inverse le haut et le bas. Pourquoi une très écrasante majorité de joueurs font cela ? Tout simplement parce que c’est ce qui est le plus efficient, il n’y a aucun intérêt à appliquer une autre stratégie pour l’instant, car toutes les autres stratégies seraient moins efficaces. Ça c’est le premier niveau d’analyse. Second niveau, on analyse quel type de personnage va à quel endroit. Il y a plus d’une centaine de héros, ça laisse pas mal de combinaisons possibles. Il faut de nouveau, imaginer un Pierre-feuille-ciseaux, mais avec 50 nuances différentes pour chacun. Seulement à la fin, si on enlève tout ce qui est sous-optimal, on diminue encore le nombre de possibilités, là on est dans le domaine du « quoi ? » et du « pourquoi ? ». Troisième niveau d’analyse : comment équipe-t-on son personnage ? Sur LoL la seule et unique restriction à ce niveau-là est la limite de 6 objets par joueur. On peut équiper nos mages avec des grosses armures, nos guerriers avec des arcs, et nos archers avec des haches. Est-ce efficace ? Une très grande majorité du temps, non. Rien ne vous empêche techniquement de le faire, et en admettant que vous soyez un joueur correct, vous aurez probablement un certain succès avec. Seulement, si on est dans une optique purement compétitive, pourquoi choisir un handicap ? Pourquoi ne pas faire ce qui marche ? Une énième fois ici, on diminue le nombre de possibilités. Une fois qu’on a effectué tout ce tri, et en ayant continué encore sur quelques niveaux, on a déterminé l’ensemble des combinaisons viables dans le jeu. On a réduit le jeu à un gigantesque Pierre-feuille-ciseaux.
Le metagame c’est de savoir quels sont ces pierres, ces feuilles, et ces ciseaux, pourquoi ils le sont et lesquels seront joués à un moment donné. « Casser le metagame » c’est réussir à trouver le puits, le signe qui gagnera en moyenne plus qu’il ne perd.
La faille de l’invocateur, carte du mode de jeu principal de League of Legends. Du moins, avant les derniers patchs…
Qu’est-ce qu’il faut retenir de tout ça ? Qu’en pratique, c’est plus simple que ça en l’air, parce qu’en tant que joueur, ce sont des données que l’on va intégrer presque automatiquement avec le temps, généralement par mimétisme. Ensuite, que le metagame n’est qu’une lecture du jeu à un moment donné. Ça évolue, parfois rapidement, parfois lentement. Suivant l’environnement, il peut nous paraître très étrange, car il ne se comprend que dans un contexte donné. À mon avis, en tant que joueur compétitif il convient de trouver un juste milieu. L’existence d’un metagame fixe ne doit pas étouffer l’expérimentation, mais de la même manière, si ce dernier existe, c’est pour une raison. Chercher systématiquement à être trop intelligent est une erreur que beaucoup de joueurs qui pensent l’être font. « If you can’t beat them, join them », si vous ne pouvez les battre, rejoignez les, encore une fois si une option quelconque est jouée de manière majoritaire, c’est souvent pour une raison simple : c’est la meilleure. Néanmoins, et en allant à l’encontre de ce que j’ai tendance à faire, jouer ce qu’on maîtrise le mieux, même si ce n’est pas le plus optimal, est sans doute la meilleure chose à faire. Du moins si on accepte de se remettre en question de temps en temps !
J’aime les nombres, j’aime analyser des systèmes de jeu, j’aime comprendre un metagame, tout cela est intimement lié à mon plaisir de jeu. Et je pense que c’est avant tout ça qu’il faut retenir. Parce qu’au fond, si on enlève l’aspect compétitif, ce qui compte dans un jeu reste de s’amuser. Et ce n’est certainement pas moi qui vous jetterais la pierre si vous avez envie de jouer Karthus AD sur la top lane. Du moment que vous savez ce que vous faites… m’enfin ça, c’est une autre histoire !
Ortie
PS : pour les curieux, les informations que je donne sur le Pierre-feuille-ciseaux sont issues d’un vrai livre écrit sur le sujet, « The Official Rock Paper Scissors Strategy Guide » de Douglas et Graham Walker.