Qu’est-ce qu’un bon jeu ?
Mon second billet sur ce blog était une review, ma première. C’est dans celle-là que j’ai commencé à diviser mes reviews en trois grosses parties intitulées sobrement : gameplay, réalisation, setting. Trois composantes que je vais tâcher de détailler ici, et qui d’après moi sont les constituants principaux d’un jeu vidéo (voir même probablement d’un jeu tout court). Soignez ces trois axes et votre jeu sera probablement exceptionnel. Mettez suffisamment en valeur l’un de ces aspects, et il sera capable d’éclipser des lacunes sur les deux autres. À l’inverse, salopez en une un peu trop, et il fera oublier les qualités les plus évidentes de votre jeu. En bref, trois ingrédients essentiels qu’il va falloir apprendre à doser judicieusement, et que je vais décortiquer ici.
Le gameplay
L’un des nombreux anglicismes qui n’ont pas vraiment d’équivalent en langue française. À l’origine le terme englobait simplement les contrôles d’un jeu « how the game plays », avec le temps, ce terme est devenu bien plus large. Pour faire simple, le gameplay est en réalité l’ensemble des règles d’un jeu, ainsi que son but. Qu’ai-je le droit de faire, comment, et pourquoi. Le jeu a pour singularité de pouvoir proposer de l’interaction, que ce soit avec un environnement ou des personnages. Cette interaction s’effectue en bougeant vos petits doigts sur une manette ou un clavier, et depuis quelques années en gesticulant devant une caméra. Avec l’avancée des technologies on trouve de plus en plus de jeux proposant des contrôles dénués d’interface physique. Même en admettant qu’un jour nous soyons capables (et on le sera) de proposer un jeu entièrement immersif, ou notre corps, voir notre esprit devient l’interface, le terme de gameplay sera toujours utilisé, puisqu’il s’agira toujours d’un jeu. Et un jeu a toujours un but et des règles, aussi sommaires soient-elles.
Le gameplay d’un jeu, est la composante première utilisé pour faire rentrer ce dernier dans une case. Jeu d’aventure en point and click, FPS, RTS, simulation sportive… Toutes ces dénominations servent à caractériser le gameplay d’un jeu. Ces termes et acronymes sont désormais ancrés suffisamment profondément dans l’imaginaire des joueurs pour que ceux-ci soient immédiatement capables de s’en faire une représentation. Ainsi dans un FPS on s’attend certes à avoir une vue à la première personne, à diriger sa caméra avec sa souris ou le joystick de sa manette, mais ça nous renseigne aussi sur d’autres choses. Comme par exemple une progression découpée en niveaux, une difficulté croissante, le contrôle d’un seul avatar à la fois, la possibilité de mourir, un équipement qui peut évoluer mais pas régresser… En bref, beaucoup de choses. Un gameplay peut porter un jeu à bout de bras, comme il peut l’enfoncer. On pardonne beaucoup plus facilement des errances graphiques, des bugs, et un scénario pauvre qu’un gameplay mou et plat, puisqu’il est l’un des premiers vecteur d’amusement pour le joueur.
Un exemple ? L’épisode 7 de la tentaculaire saga des Might and Magic. Sorti en 1999 sur PC, ce dernier est globalement considéré comme un bon jeu par la critique aussi bien que par les joueurs. Pourtant, lorsque l’on commence à le décortiquer un peu, le constat est plutôt navrant. Graphiquement, le jeu est honteux pour l’époque : des sprites en 2D très crades, et peu nombreux, des effets de lumière ridicules et un moteur à la rue. Le tout la même année que Baldur’s Gate et Quake 3. Coté son, c’est pareil, non seulement les morceaux ne sont pas très nombreux et plutôt fades, mais en plus la quasi-totalité des effets sonores sont ceux de l’épisode d’avant qui sont réutilisés. Le scénario est tout juste passable, et l’univers même de Might and Magic est plutôt lambda. Pour couronner le tout, même l’interface du jeu est bancale et peu pratique. Ce qui sauve réellement le jeu ce sont ses règles. Les possibilités d’évolution offertes, l’univers ouvert que l’on peut visiter sans restriction, la gestion de son groupe d’aventuriers ainsi que la grande liberté d’action, font de cet épisode un jeu étonnamment agréable au vu de ses défauts.
Might and Magic 7, un jeu qu’il est beau.
La réalisation
Quand j’ai commencé à écrire, je ne savais pas vraiment comment appeler cela. Sur un premier jet, ce fût « l’enrobage ». Terme qui laissa sa place au profit de celui de réalisation, suggéré alors par un ami. Pourtant c’est bien de cela qu’il s’agit : de l’enrobage graphique et sonore du jeu, ainsi que sa finition. On peut lire un peu partout sur le net qu’une bonne frange de la population gamer trouve les graphismes et la réalisation d’un jeu sans importance, que c’est avant tout le gameplay et l’ambiance d’un jeu qui prime. Comme je l’ai montré il y a un paragraphe, c’est effectivement possible de rattraper une mauvaise réalisation par un bon gameplay. Est-ce pour autant que cela doit être un aspect à négliger ? Absolument pas. Après tout, avant même d’être confronté à d’éventuels soucis de gameplay, la première chose face à laquelle on se trouve dans un jeu ce sont bien ses graphismes et son ambiance sonore. Du menu du jeu à son introduction, jusqu’à la première séquence, vous allez pouvoir observer les efforts qui y ont été fait. Et il n’est pas tant question ici de la qualité graphique et sonore que de sa cohérence et de son optimisation. Un jeu proposant des graphismes photo-réalistes, mais bourré de bugs, est pour moi bien plus à sanctionner qu’un jeu au moteur bien plus sommaire, mais exploité correctement. « Sans maîtrise, la puissance n’est rien », cette citation de marque de pneu, beauf au possible illustre à merveille ce que je cherche à expliquer ici.
Le beau est totalement subjectif, et le seuil de tolérance peut varier énormément d’une personne à l’autre. Ce qui est par contre totalement jugeable, c’est le degré de finition. Ce jeu peut-il tourner sur des machines modestes ? Souffre-t-il de ralentissements ou de saccades, y compris sur console ? Dispose-t-il de suffisamment d’options de configuration pour offrir une expérience agréable au joueur (choix de la langue et affichage des sous titres, options visuelles…) ? Autant de questions que je me pose, et dont je me sers pour juger cet aspect sur les différentes reviews que je fais. Mais pas uniquement.
Nous sommes à l’ère de l’internet et du tout connecté, ce qui présente de nombreux avantages, notamment pour le suivi des jeux qui sortent aujourd’hui. Les patchs correctifs ne manquent pas de sortir peu de temps après la sortie d’un jeu pour venir en corriger les bugs gênants qui pourraient rester. Cela veut-il dire que les jeux sortent plus buggés aujourd’hui qu’avant ? Beaucoup semblent penser que oui. Pour ma part, je n’en suis pas vraiment persuadé. Il n’y a qu’à voir le nombre de glitchs et autres bugs pouvant entraîner jusqu’à un plantage de la console qui existaient sur les consoles de l’ère pré-online. Mais ce n’est pas pour autant qu’un jeu doit être injouable à sa sortie si ce dernier n’est pas patché ! Et cette quantité de soucis, plus ou moins gênants, est directement perceptible par l’utilisateur final, et peut nuire de façon significative à son expérience de jeu.
Pour voir un exemple de jeu ou la réalisation est mise en avant, voir même sert d’élément marketing fort, il suffit de se pencher sur la pléthore de FPS hollywoodiens qui sont sortis ces dernières années. Le gameplay de la plupart de ces jeux est interchangeable avec celui de ses concurrents et leur scénario est le plus souvent identique : inexistant, et sauvé uniquement par une mise en scène à couper le souffle. Le seul étalon alors valable pour juger ces jeux reste leurs moteurs, et l’optimisation de ces derniers. Unreal Engine, Frostbyte, CryEngine, id Tech… autant de noms qui ont fini par devenir familier à l’oreille des joueurs, tant ils sont mis en avant.
Boom. Le Frostbyte 3 – moteur de ce Battlefield – en jette un peu.
Le setting
Après le gameplay et la réalisation, on va finir avec un le setting. Encore un anglicisme, et un aspect qui me tient tout particulièrement à cœur. C’est un mot à sens multiples, et donc disposant de multiples traductions. Le sens qui m’intéresse ici, est celui de cadre. Il sert à désigner à la fois l’univers, le scénario, et l’ambiance générale d’un jeu. C’est ce dernier aspect qui pour moi finit la boucle. Beaucoup de jeux ne disposent pas d’un scénario à proprement parler, mais il n’existe presque pas un seul jeu sans setting, sans cadre. Très peu de jeux ne se réduisent qu’à une simple expression de nombres, de couleurs, ou de signes totalement abstraits. Le Puissance 4 et le Reversi font partis de ces exceptions. Et même ce dernier, dans sa version moderne plus connue sous le nom d’Othello nous place dans un cadre shakespearien opposant le blanc Othello, et la sombre Desdémone. Les échecs disposent d’un cadre, une guerre entre deux royaumes. Les cartes à jouer également, puisque suivant les époques et les pays, elles représentent diverses figures. Le jeu vidéo n’échappe pas à la règle, et même un jeu qui peut sembler aussi abscons que Tetris dispose d’un cadre de fond, qui passe par sa musique et son imagerie fleurant bon l’ex URSS (développé à l’origine par un Russe dans le milieu des années 80, il a à une époque été distribué sous le nom de Tetris : The Soviet Mind Game…). En bref, l’imaginaire est nécessaire au jeu.
De nouveau sur ce point, ce n’est donc pas tant la qualité d’un univers, d’un scénario ou d’une ambiance qui est jugé, mais sa cohérence, et la façon dont ces différents points sont mis en avant. J’ai, à de nombreuses reprises, parlé de jeux disposant d’une bonne histoire mal racontée, ou à l’inverse d’un jeu à l’univers très riche mais au scénario absent. Nous sommes là en plein sur le sujet. C’est ce genre de point qui m’intéresse quand je parle du setting. Sur certains genres, il fait juste office de prétexte. Parfois on peut relever quelques efforts, comme par exemple l’ambiance télé-réalité du jeu de course Split Second : Velocity dont j’ai déjà parlé dans une précédente review. Trop souvent négligé sur des genres de jeux où cet aspect peut paraître secondaire, le setting peut réellement propulser un titre du statut de bon jeu à jeu d’exception.
Pensez ici à un titre comme World of Goo. Jeu indépendant sorti il y a quelques années. Il dispose d’une réalisation correcte, et d’un bon gameplay. S’il s’était arrêté là, nous n’en aurions retenu qu’un jeu sympa. Le jeu a été encensé par la critique en raison de son ambiance singulière et complètement barrée, et de son univers attachant. Il s’est ainsi retrouvé catapulté au rang des incontournables de ces dernières années. Ce qui a été le plus plébiscité sur ce puzzle game (genre abstrait s’il en est), c’est son setting, supporté par un gameplay et une réalisation très propre. Pour moi, il s’agit d’un point qui n’est clairement pas à négliger et qui, au même titre que les deux autres, peut à lui seul porter, ou enfoncer un jeu.
Sur cette image on peut voir l’un des personnages principaux de World of Goo. Le panneau.
Gameplay, réalisation, setting. Pour moi, les trois gros éléments constitutifs du jeu. Soignez les trois, et vous obtiendrez un hit. Ça n’a pas l’air si compliqué que ça non ?
Ortie